Jennifer Caubet : « En réserve »

13.01.2208.02.23

Jennifer Caubet développe un travail dans et avec l’espace par les moyens de la sculpture, de l’installation et du dessin. Pour sa première exposition à Nîmes, l’artiste investit la chapelle des Jésuites avec des œuvres par lesquelles elle entend explorer les potentialités de cet espace.

Jennifer Caubet vit et travaille à Aubervilliers ; elle expose régulièrement en France et à l’étranger. Invitée à la chapelle des Jésuites de Nîmes, elle intitule son exposition, En réserve et présente des œuvres issues de plusieurs collections publiques et privées, ou de son atelier.
En réserve désigne autant le lieu où sont conservées les œuvres, que la position de repli et d’actions potentielles que manifestent les sculptures. Leur aspect hybride à la lisière de l’objet technique, de l’outil et du mobilier, contient des possibilités d’extensions, des lignes et des trajectoires possibles, des appuis et des points d’impacts, qui forment autant de scenarios d’occupation

Le rapport à l’espace

Les réalisations de l’artiste ont la particularité d’activer un puissant imaginaire qui renouvelle notre relation à l’espace : celui où se déploie notre vie quotidienne, celui des situations où s’inventent d’autres modes d’habiter et d’autres relations aux multiples éléments qui caractérisent un lieu. Pour la chapelle des Jésuites, Jennifer Caubet a conçu une exposition sur mesure : « Devant cet espace monumental et intouchable, la problématique posée par cette invitation m’amène à penser cette exposition En réserve, dans les vides qu’organise cette architecture. Mes sculptures sont des outils à investir et à redessiner l’espace, des pièces qui se greffent, se « pluggent » et s’infiltrent.  Généralement, dans mon travail, c’est le lieu qui porte les pièces, qui les arrête, au sens physique du terme. L’espace et son architecture deviennent leur socle. Il s’agit pour la chapelle des Jésuites d’investir un autre champ lexical de mon travail, cellui de la réserve, du stock, du repli et ainsi d’entrevoir la sculpture comme un potentiel de forces en déploiement ou à déployer. »

Soulèvement, renversement et potentiel

L’exposition s’organise selon une découpe induite par l’architecture de la chapelle.

La nef accueille les pièces  Renversements (2022) : des lances d’inox sont suspendues en l’air, en porte-à-faux de disques en béton. Elles agissent au sol comme des labours. Les disques en ciment deviennent des meules au potentiel d’écrasement et témoignent cependant d’une extrême fragilité.

Le chœur abrite Plugin Rhizome (2010-2011), une flèche en béton qui déploie son propre réseau pour se soutenir et s’élever. Le béton brutaliste a pris l’empreinte du bois. Il est poussé à la limite de sa résistance et déjoue les propriétés admises de ce matériau.

L’installation E.A.T (Espace d’autonomie temporaire), 2009, trouve sa place dans les bras du transept ; cet ensemble de sculptures en aluminium fonctionne selon le principe d’un kit. Entièrement démontable et emboîtable, ce kit d’éléments télescopiques se greffe au mur de l’espace qui l’accueille. Ce «mobilier sculptural» autonomise visuellement l’espace et soumet l’idée d’un espace qui se soutient de l’intérieur. Ces formes rappellent l’étai de maintien architectural et se posent comme étant «utilitaires», «fonctionnelles». Tel un jeu construction, il présente différentes combinaisons et différentes propositions d’installation au sein d’espaces. Elle est la pièce de réserve de cette exposition.

Face à elle, dans l’alcôve opposée, O., une sculpture d’acier composée de flèches, de fils et de roulements à billes est posée au sol. Entre carquois et outil à dessiner dans l’espace, elle s’active par le tir à l’arc. Chaque flèche tirée dans l’espace d’exposition déconstruit le volume et déploie un fil tendu dans l’espace. Elle est ici présentée au repli,  tel un instrument en attente.  

Capsule #1.2., visuel de l’exposition, devient la pièce fantôme de cette proposition. Réalisée au CIRVA (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) en 2019, elle est une imbrication de trois pièces en verre soufflé. Pensées comme un espace « en dedans », ces sculptures sont des nacelles, des micro-espaces condensés. Dans un vocabulaire à la fois organique, industriel et cristallin, on se demande si le poulpe de verre ne rejoint pas l’obus pour donner une forme androgyne et cyborg. Cette sculpture tout en contractions devient l’expression formelle du titre de cette exposition :  En réserve.

Entre soulèvement, renversement et potentiel, ce sont autant de manières de penser l’espace comme un terrain à construire et à déconstruire, mais surtout aux multiples potentiels qu’il s’agit d’investir. »

[Textes de Jennifer Caubet].   

(c) Jennifer Caubet

Une exposition inscrite dans la pédagogie

Jennifer Caubet est invitée par Arnaud Vasseux, artiste et enseignant, dans le cadre du séminaire « Expériences et pensées de la spatialité » réunissant des étudiant·e·s de cycle 2 : Amandine Lietard, Élisa Verdier, Sofian El Kalkha, Mélisande Pancarte, Noémie Cartailler-Combe, Django Beal-Lacueille, Sijing Li.

L’exposition est l’occasion de générer une rencontre, des échanges et un moment de professionnalisation avec des étudiant.e.s qui suivront le montage de cette exposition et son agencement. Ils.elles seront aussi invité.e.s à proposer des pièces autour du renversement et à les présenter lors d’une rencontre spécifique autour de leur travail.

Cette exposition a bénéficié des prêts des Fonds Régionaux d’art contemporain d’Occitanie Montpellier, de Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi que de la fondation d’entreprise Lafayette Anticipations et de la galerie Jousse Entreprise. 

Entretien avec Glenn Ligon