Paola Bertagnoli, Gwennan Jolivet, Zoé Legrain, Amandine Lietard, Lilou Michenaud-Raud, Antoine Pascal-Bonhoure, Elisa Picquenot, Lisa Venturini, Fabio Zerbib.
À qui est cette maison ?
Toni Morrison , Home, Christian Bourgeois Éditeur, 2012, p.9
À qui est la nuit qui écarte la lumière
À l’intérieur ?
Elle n’est pas à moi.
(…)
Cette maison est étrange.
Ses ombres mentent.
Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure correspond à ma clef ?
Pourquoi sa serrure correspond à ma clef ? La fin de citation de l’autrice américaine Toni Morrison éclaire notre projet. La maison qu’elle évoque plus tôt se dédouble dans nos esprits : s’agit-il du Musée du Vieux Nîmes qui nous ouvre les portes de ses réserves, « où la nuit écarte la lumière, où les ombres mentent », ou bien de cet espace d’exposition avec sa forme de grande vitrine qu’il nous appartient d’investir puisque nous en avons la clef ?
À partir de quand un lieu devient-il vraiment nôtre ? Dans Espèces d’espaces l’écrivain Georges Perec donne l’exemple d’une vieille carte postale punaisée au mur. Est-ce ce simple geste ou ce qui est représenté sur la carte postale qui permet de se connecter à l’espace ? Les arrangements intérieurs cherchent habituellement un effet général, un confort ambiant. Nous organisons les choses selon leur importance (sur des aspects pratiques, décoratifs et affectifs). Les imaginaires se recouvrent, les histoires aussi.
Les objets que nous avons sélectionné dans les réserves du Musée peuvent avoir des vertus prophylactiques, comme ces tapis orientaux que nous empruntons à la galerie Testard, sur le Boulevard Gambetta, pour continuer à nous rapprocher de l’appartement modèle, de cette pièce idéale.
Toute l’ambivalence de ce projet nous paraît résider dans le fait de sortir des réserves des choses dont le retour au monde n’est plus possible. Des médailles, une paire de babouche, une petite boîte rouge, un coulant de serviette, un fauteuil brodé, une bourse à coulisses, une boîte à couture, une gourde verte, un plat à barbe, un sablier, un jeu en bois, un plan de Nîmes du XVIIème siècle et beaucoup d’autres objets attendent qu’on les mette en scène pour nous enchaîner à eux. Nos critères ne sont pas ceux du musée. Cette pièce que nous remplissons n’a pas qu’une seule fonction.
Nous avons l’habitude des gestes spontanés, des matériaux malléables et des œuvres ouvertes, polysémiques. Nous sommes forcément du côté du temps et de ce que G. Perec appelle les supports de fortune ou résidus ( la poussière, le dos d’une enveloppe, un ticket de bus, des emballages, une marge de journal, un formulaire, une liste de courses, des vêtements en tas, des livres, etc.), tout ce qui s’accumule et s’empile avec le temps. Les supports de fortune desétudiant·e·s sont des formes et des gestes artistiques qui encouragent les mouvements du corps et les états-d’âmes. Nous espérons faire apparaître le portrait énigmatique et morcelé de l’occupant·e de ce domicile aux fonctions multiples, des bouts d’identités à la recherche de bouts d’espace qui réclament des contacts particuliers, des recoins propices. Ce portrait s’élargit à travers un programme de gestes performés, des actions visant à faire palpiter quelque chose – entre ces précieux objets à l’état préoccupant, aux contraintes de présentation sans équivoque – entre vous et nous, comme pour dire : on en est là, sous une lumière trémoussante et peu constante, à rêver, non sans trouble, à une Histoire commune.
Cécilia Becanovic
Le projet
L’exposition « Lumière trouble » réunit des étudiant.e.s de premier et second cycle ; elle a été coordonnée par la commissaire et critique d’art Cécilia Becanovic invitée par l’ésban à travailler avec les étudiant.e.s à partir des collections du Musée du Vieux Nîmes.
Chaque étudiant.e a réagi en proposant une interprétation qui déplace la perception commune associée aux objets anciens que le musée se donne pour mission de conserver.
Depuis de nombreuses années, le partenariat le Musée du Vieux Nîmes et l’ésban, deux institutions voisines, s’inscrit dans l’histoire même du bâtiment devenu en 1910 Palais des Beaux-arts pluridisciplinaire pour accueillir à la fois le Conservatoire de Musique, l’École des Beaux-arts, puis le Musée du Vieux Nîmes.
Projet coordonné par Arnaud Vasseux, artiste et enseignant